Le marché aux poissons de Whitepearl était depuis toujours l'endroit où se rendre si l'on aspirait à une cuisine de la mer idéale et de qualité. Des dizaines d'étalages aux parfums iodés faisaient sa renommée ainsi que sa fortune. Tous allaient de leur méthode pour attirer les potentiels acheteurs souvent déjà envoûtés par le lieu et la beauté des paysages alentours. La cité entre terre et mer se distinguait par sa beauté étincelante du lever du soleil à son coucher, il en était de même pour les femmes du royaumes, connues pour leurs galbes de cuisses et leurs cheveux fins tels la soie.

Oui, il en étaient des denrées en ce marché incontournable du sud d'Enarya, ce marché regorgeant de surprises et grouillant de passants. Passants venus ici pour compléter une liste auparavant inachevée ou d'autres simples visiteurs rapidement incapables de se retenir devant cette brandade fumante à l'ombre d'une toile...

C'était la toile de Randrin L'Malin, un vieil homme au menton démesuré et à l’œil de verre. Depuis combien de temps était-il assis sur son tabouret à trois pieds ? Peut-être même avant la pose du premier pavé de Whitepearl. Le visage noirci par des points noirs à n'en savoir qu'en faire, Randrin était un originaire du Nord et c'est tout ce qu'il nous permettait d'apprendre sur lui. Très secret, il gardait jalousement la plupart de ses recettes de cuisson des coquillages qui lui avaient offert sa renommée.

"Mais b'sûr ma p'tite dame, j'vous en mets deux pesée pour l'prix d'une. Cela vous va-t-il est-ce ?" Il avait toujours cette manie de feindre un air de noblesse, mais les gens l'aimaient pour cela. Souvent braillait-il des phrases sorties d'on ne saura jamais quel dialecte, ou tentait de placer un mot qu'il pensait savant. Ce bon petit monsieur ressentait un attrait certain pour la mythomanie, mais peut-être était-ce le lot de tout bon commerçant ? Qu'adviendrait-il si les habitants apprenaient la vérité au sujet des "fameuses recettes de Randrin le Savoureux" ? Depuis des années, ce n'est nul autre qu'au travers des talents de sa voisine édentée et malentendante qu'il obtint ces plats chauds tant appréciés... Il se complaisait dans ce mutisme chronique jusqu'à qu'un jeune homme aux yeux couleur mer ne vienne à sa rencontre. Celui-là même qui aujourd'hui, progressait vers le vieux menteur, le visage inexpressif mais la bourse en cuir pleine.

"Ah bah tiens ! T'en as mis du temps petiot !"

Dhörin s'approcha de son vieil ami et le força à rester assis sur son trône à trois pattes. Lors de son arrivée à Whitepearl, c'est Randrin lui-même qui fit découvrir les merveilles du sud au fils Icelandik et qui par la même occasion l’accueilli de bon cœur chez lui. Tout ce qu'il savait à propos du jeune homme était qu'il venait du Nord, tout comme lui. Qu'il avait rit en comprenant que jamais Dhörin ne lui en dirait plus sur lui, il se voyait en ce petiot.

"Mais laisse-moi faire mon travail ! rechigna-t-il d'un air renfrogné, faisant s'ajouter un nouveau pli sous son menton.
- Et voilà Madame, merci."

Le jeune homme n'avait, comme toujours, pas écouté Randrin. D'un regard extérieur l'on pourrait croire à l'archétype même d'un vieux couple. Dhörin avait en effet trouvé en cet homme d'âge mur, un réconfort auquel il ne s'attendait plus. Le mot "famille" avait été rayé du vocabulaire du jeune pirate depuis des années maintenant mais pour autant, ce fut depuis près de huit ans, le visage du vieux marchand qui se dessinait en sa mémoire lorsque quelqu'un parlait de ce sujet tabou.
Pendant quelque temps, Dhörin l'aida en vendant sur le marché poulpes, moules, truites fraîches... Jusqu'à ce soir-là, tandis que plus grand monde ne montre museau, un fameux corsaire vint à leur comptoir marin, exigeant la totalité de la bourse de la semaine.

Dhörin avait beau être l'homme le plus fermé sur terre, ne disant jamais son affection au vieux Randrin, il restait de ceux qui défendraient les gens qui lui "importent" dans tous moments de trouble. Ce qui fut le cas. Par la suite, face au courage et à la détermination dont avait fait preuve le jeune venu du Nord (dont personne ne connaissait le nom, Dhörin cachant son identité au moyen d'un prénom usurier : Tybhalt), et n'arrivant pas à trouver un "terrain d'entente", il confronta donc "Tybhalt". Le contrat était simple, si Dhörin remportait la partie de dés du soir au Cursed Lair, lui et Randrin seraient épargnés à l'avenir de toute taxe déconvenue... mais si au contraire celui-ci perdait, il serait contraint de rejoindre l'équipage de ce dernier pour empêcher que le vieil homme ne paie.

Vous connaissez la suite de l'histoire.

"Alors, c'te mer ? Agitée ?
- Plutôt..."

Dhörin/Tybhalt demeurait froid, encore et toujours ce tempérament d'hiver. Aucun des deux n'avaient aperçu cette femme encapuchonnée qui les observaient, visiblement en pleine contemplation de nôtre Icelandik bien-aimé.